Auteurs : Cailleaux et Giraudeau
Editeur : Casterman
De Bernard Giraudeau, le public connaît sa belle gueule sur grand écran. On aurait voulu le confiner dans des personnages de baba cool gentil (Et la tendresse bordel), il s’en est échappé pour explorer sa face sombre dans des rôles de manipulateur et de pervers (Goutte d’eau sur pierre brûlante, Une affaire de goût…).
On le croyait acteur, il devient réalisateur, puis écrivain (trois romans, des guides de voyage…). On le croyait Français, il est citoyen d’un monde qu’il n’a jamais cessé d’arpenter. Bernard Giraudeau est de ceux qu’on ne range pas dans une boîte. Il est né à La Rochelle, les yeux dans la mer, et il sait qu’"un marin à terre est un marin perdu. Celui qui pose son sac sur un quai n’aura que des souvenirs." Il n’est pas inutile de savoir qu’avant d’entrer au Conservatoire, Giraudeau s’est engagé à 16 ans dans la Royale, la marine française, et a fait deux fois le tour du monde comme mécanicien dans le ventre du porte-hélicoptère Jeanne d’Arc entre autres.
Aujourd’hui, Giraudeau adapte son second roman en BD. C’est la mode qui veut ça, et le business. Les chiffres de vente de la BD font rêver les romanciers, et beaucoup se mettent à l’adaptation. Une mode qui est cette fois une chance, celle d’un très bel album et d’une rencontre sans doute.
Christian Cailleaux, auquel on doit entre autres Harmattan : le vent des fous, Le café des voyageurs et la trilogie des Imposteurs, est lui aussi un de ces "hommes à la semelle de vent" qui trouve l’inspiration dans la libre circulation du corps. Son style graphique elliptique laisse la place à l’imaginaire, au rêve. Une ligne d’horizon, un triangle pour une voile, et nous voilà sur un boutre en Mer Rouge.
Au départ, Marin à l’ancre, le roman de Giraudeau, est une discussion par lettre interposée entre l’auteur et Roland, un handicapé cloué dans sa chaise. Le "marin à terre", c’est lui, et Giraudeau lui raconte le monde, les ports, les odeurs, les femmes.
Christian Cailleaux s’est approprié cette narration éclatée et en a tiré un récit plus uni tout en restant multiple, l’aventure initiatique, parsemé de beaux personnages, d’un jeune homme qui a voulu "tâter de la rondeur du monde" (Yourcenar) et qui y a découvert, en passant, celle des femmes.
D’une honnêteté rare, R97 sent bon la vie et le vent. On en sort avec une vision plus large, et une belle envie de sac à dos.
Chronique par Geoffroy d'Ursel