Auteurs: Flao et Dabitch
Editeur : Futuropolis
...Où nous suivons l’errance andalouse de deux jeunes hommes, Manuel le danseur français et Benito le chanteur gitan, liés par l’amitié et l’amour du flamenco. Farouchement attachés à la pureté de la tradition, Manuel et Bénito refusent les sirènes commerciales du flamenco-rock et acceptent plus ou moins de vivre de rien pourvu qu’ils puissent s’adonner à leur art. Il y a aussi l’amour des femmes, forcément malheureux ou tragique, qui alimente "la souffrance comme du miel"…
Dans leur première collaboration, La ligne de fuite, Christophe Dabitch (scénario) et Benjamin Flao (dessin) marchaient sur les pas de Rimbaud. Sorte de voyage initiatique entre recherche du personnage historique et de naissance du mythe rimbaldien, cet album superbe péchait, d’une certaine manière, par un excès d’ambition : "trop intelligent", il ne pouvait atteindre, malheureusement, qu’un public réduit.
Ce n’est pas le cas du volumineux diptyque Mauvais garçons (220 pages en tout), avec lequel on peut espérer que le tandem explosera aux yeux d’un public beaucoup plus vaste.
A travers Manuel et Benito, deux mondes s’accrochent, s’approchent et se confrontent. Pour le Gadjo, français donc rationnel, l’art naît de la pratique et des répétitions. Pour le Gitan, ce n’est pas le chanteur qui prend la musique, mais la musique qui prend le chanteur ; mes répétitions sont totalement inutiles puisque, de toute façon, "quelque chose" devra se passer – ou pas.
Il y aurait beaucoup trop à dire sur ces deux magnifiques albums qui multiplient les niveaux de lecture tout en restant parfaitement fluides. Il faudrait parler, longuement, de l’exploration de la mystique flamenco, dont le trait rageur de Flao nous transmet la fièvre. Il y a aussi cette vision admirative de l’âme gitane, dans laquelle se mêlent misère et orgueil, splendeur et désespoir. Il y a ces pages somptueuses qui mériteraient d’être agrandies et encadrées (entre autres : page 75 du premier volume, pages 102-103 du second). Il y a la chaleur humaine qui parcourt toute l’œuvre et qui, malgré la présence du tragique et de la fatalité, culmine dans une fin ouverte à tous les espoirs, à toutes les énergies. Et enfin il y a la place laissée à la poésie épurée des chants : "Ton amour est comme un taureau / Il va où on l’appelle / Le mien est comme une pierre / Il ne bouge pas".
Avec ces deux superbes albums, Dabitch et Flao ont donné l’un de ces moments rares, magiques, de la bande dessinée, quand les talents respectifs d’un dessinateur et d’un scénariste se conjuguent parfaitement en une vision neuve, de celles qui explosent les barrières mentales du lecteur à grands coups de poésie et d’humanité. De ce point de vue, Mauvais garçons est à ranger, par exemple, aux côtés de Léon la came de De Crécy et Chomet ou du Bar du vieux Français de Stassen et Lapierre.
Chronique par Geoffroy d'Ursel