BD : Abymes (3 tomes)

Auteurs : Mangin, Griffo, Malnati, Bajram
Editeur : Dupuis
Valérie Mangin se livre à un exercice d’écriture assez périlleux : la mise en abyme multiple, autrement dit, l’enchâssement de plusieurs récits les uns dans les autres. Si cette série devait vous tenter, prévoyez donc la lecture des trois tomes d’une traite, afin de ne pas perdre le fil.

Abymes démarre avec une collaboration déjà “gagnante”, puisqu’on devait déjà au duo Mangin-Griffo le diptyque remarqué Petit Miracle (chez Soleil). L’auteur se réapproprie à présent des éléments biographiques pour réécrire l’histoire de Balzac, mâtinée de polar et de fantastique, première pièce de son puzzle scénaristique. Quant aux belles pages du célèbre dessinateur de Giacomo C. ou S.O.S. Bonheur (pour ne citer que deux classiques), elles rappellent graphiquement leur collaboration précédente, mais aussi les Sambre d’Yslaire.

De manière plus réaliste et austère, Malnati sert efficacement la seconde partie du récit, qui va un peu plus loin dans la complexité. Cette fois, c’est la vie du cinéaste Henri-Georges Clouzot qui est remaniée, en exhumant les accusations d’ancien collabo qui lui collèrent à la peau et en ajoutant des éléments mystérieux autour d’un projet de film en 1946, intitulé… Le Mystère Balzac.

C’est néanmoins le troisième volume qui s’avère le plus surprenant. Valérie Mangin se met en effet elle-même en scène, se dévoile, de la jeune étudiante en philo et histoire à la création des présentes bandes dessinées… Des ouvrages qu’elle aurait étrangement découvert en solderie, puis égarés, avant même de les avoir écrits. Les éléments autobiographiques se mêlent à nouveau à la fiction et incluent un autre protagoniste, qui n’est autre que Denis Bajram, celui qui dessine cette dernière partie et qui est son compagnon dans la vraie vie. Les deux artistes étant grand amateurs de récits complexes, Abymes semblait tout indiqué pour concrétiser une collaboration-fusion, incluant des preuves d’amour touchantes.

Le graphisme réaliste de Bajram, composé d’aquarelles numériques et de photos de décors urbains retouchées, est ici lumineux, loin de son bestseller Universal War One.

Mais le couple en fait sans doute trop, de l’autopromotion de leurs bibliographies respectives jusqu’à leur futur science-fictionnesque fantasmé. Trop également en matière de copinage, car si grand bien leur fasse d’avoir de solides relations - éditeurs, libraires spécialisés incontournables à Paris et Bruxelles, certains journalistes bien connus ou autres personnalités du petit monde de la bande dessinée -, les représenter s’avère souvent dispensable et finit par faire ressembler l'hommage à une garantie de soutien promotionnel.

Le concept de cette trilogie vous offre un long moment de divertissement, à défaut d'atteindre le niveau de son ambition et malgré d'importantes différences de tonalités et de styles.

Chronique par Jean Alinea