Editeur : Kana
Les éditeurs continuent de faire découvrir au public francophone la bibliographie inépuisable d’Osamu Tezuka (1928-1989), considéré comme le "dieu du manga". On le retrouve ici dans une veine plus désespérée qu’à l’accoutumée.
Déjà célébrissime au Japon pour ses oeuvres destinées à la jeunesse (Astro Boy en tête), l’auteur s’intéresse de près, à la fin des années 1960, à ce genre émergent qu’est le "gekiga". Le chant d’Apollon est influencé par ce style de manga plus réaliste et dur, mais même en s’adressant à un public plus adulte, Tezuka conservera toujours ce style graphique qui le distingue et les thèmes qui le préoccupent : le respect de la nature et de toute forme de vie ou encore sa perplexité face aux civilisations, l’incapacité de vivre en paix et les mauvais usages des sciences.
Inconsciemment traumatisé par une mère peu aimante qui joue de ses charmes pour obtenir des faveurs matérielles d’un maximum d’hommes, Shogo est devenu un adolescent sans cœur. Il est même pris de pulsions hargneuses dès qu’il est confronté à des effusions d’amour. Ainsi, à la campagne, son passe-temps favori consiste à traquer des petits animaux en train de s’accoupler… et de les massacrer ! Etant potentiellement capable de s’en prendre à de jeunes couples humains, son comportement lui vaut d’être interné en institut psychiatrique et de subir des traitements par électrochocs et hypnose. En état comateux ou de demi-sommeil, Shogo sera amené à vivre d’autres existences après avoir rencontré une déesse antique faisant peser sur lui une malédiction : chacune de ses réincarnations lui apprendra à éprouver de l’amour, mais celui-ci se soldera toujours par une tragédie mortelle avant le moment décisif de l’union. Initiatique ? Qu’en sera-t-il dans son retour à la réalité contemporaine ?
Voilà une façon originale d’aborder un questionnement sur les thèmes de l’amour homme-femme et de la perpétuation de l’espèce… de façon naturelle ou par les dérives du clonage. Il faut réaliser que Le chant d’Apollon est paru en 1970 (!), montrant à quel point Tezuka était un précurseur et un visionnaire. On retrouve ici aussi plusieurs époques (l’Antiquité, la Seconde Guerre Mondiale, un futur robotisé) et des thèmes que l’auteur n’aura de cesse de développer tout au long de sa carrière. Par sa noirceur également, ce livre annonce déjà d’autres œuvres comme Ayako (1972-1973), Barbara (1973-1974) ou la splendide Histoire des 3 Adolf (1983-1985).
Ouvrage digne d’intérêt par bien des aspects, Le chant d’Apollon m’a cependant ennuyé à certains moments, avec cette répétition d’inexorables et prévisibles fins au bout de chacune des séquences, dont le lien est assuré par la présence du protagoniste et la thématique d’ensemble. Le tout paraît donc cousu d’un seul long fil rouge, un peu distendu par moments. Probablement par un manque d’ellipses et une pagination élevée qui aurait pu être mise au profit d’un rythme narratif allant crescendo ?