Nonamour

Auteur : Kyôko Okazaki
Editeur : Casterman
(Sakka)


Il y a un bon moment que je me demande ce que signifie l'adjectif "postmoderne", dont on nous bassine les oreilles depuis une ou deux décennies, et qui est censé décrire la culture contemporaine (puisque l'adjectif "contemporain" décrit, lui, la période antérieure, si j'ai bien capté).

Je crois avoir trouvé la réponse (enfin, ma réponse) grâce à la mangaka Kyôko Okazaki, à force de regarder dériver au gré de leurs pulsions contradictoires ses personnages d'adolescents. Jetés En marge du capitalisme "performant" dans un monde de béton sans valeurs du passé ni vision d'avenir, ils se construisent un présent fait de bric et de broc.

Il n'y a que dans River's edge que Okazaki se laisse aller à une vision plutôt pessimiste et violente des rapports humains. Dans ses autres albums parus en français (Pink, Helter Skelter et Nonamour), Okazaki exprime la vie actuelle avec un mélange très personnel de légèreté, cruauté, crudité, folie douce et humour, le tout avec des variations de dosage suivant les albums.

J'allais oublier un élément essentiel du "cocktail Okazaki" : l'obsession de l'amour. Dans Nonamour, quatre personnages principaux et divers secondaires s'aiment, se rejettent, s'ignorent. Largué par sa copine qui va en épouser un autre, Il accepte l'invitation de Elle, une camarade de son école d'Art qui lui propose d'habiter chez Elle et son frère, pour lequel Elle éprouve une vive attirance incestueuse non partagée. Il et Elle trouvent ce deal très pratique, précisément parce que chacun estime qu'il n'a aucune chance de tomber amoureux de l'autre. Ca reste à voir…

Postmodernisme donc dans la vision de ces personnages paumés devant une liberté trop grande dont ils ne parviennent pas à trouver le mode d'emploi. Face à ce constat, une des particularités d'Okazaki est de ne pas sombrer systématiquement dans le pessimisme facile. Après tout, puisque le mode d'emploi n'existe pas, il n'y a qu'à l'inventer… Exemple : "Il m'a dit qu'il rentrerait tard aujourd'hui. Je me suicide, j'appelle le téléphone rose ou je me masturbe ?"

Chronique par Geofroy d'Ursel