ESSAI (BD) : Dessine ! ... et tu connaitras l'univers est les dieux

L
es deux premiers tomes de Broussaille et ceux de Zoo ont à jamais conquis mon cœur de lecteur. J’ai d’autre part eu l’occasion de rencontrer Frank Pé bien des fois… depuis l’enfance et ma toute première immersion dans un festival BD, en fait. C’est là que j’ai fait connaissance avec ce dessinateur encore inconnu, acceptant de bon cœur de me crobarder son personnage Vincent Murat sur une feuille volante. 
 
Quel contraste de le retrouver si sollicité, des années après, à la parution du premier Zoo ! Armé de patience, je suis parvenu à attirer son attention avec mon propre art book, qu’il a pris le temps de consulter, de commenter, me prodiguant quelques conseils encourageants. Des conseils dont je retrouve des échos dans le présent livre, c’est amusant.
 
Plus tard encore, mes débuts dans "la vie active" ont aussi été l’occasion de l’interviewer à deux reprises et de coordonner une exposition de ses planches originales dans une librairie-galerie bruxelloise.


 
V
ingt années ont passé, son travail est techniquement toujours plus virtuose, comme l’ont démontrées ses fresques grandeur nature, ses réappropriations de Little Nemo ou du Marsupilami. Ça m'a donné envie de lire cet essai par curiosité sur l’évolution de ses "réflexions sur le dessin"  depuis nos passionnants échanges d'autrefois.

Je dois dire avoir été d’abord surpris de découvrir non seulement des "pensées", mais une sorte de manifeste, avec de régulières affirmations solennelles, versant parfois dans le grandiloquent (le sous-titre "… et tu connaîtras l’univers et les dieux !" ne le laissait-il pas un peu présager ?). Dommage qu'au milieu d'observations pertinentes, le péremptoire s’invite dans ses formulations, ainsi que dans ses critiques.
 
O
n peut légitimement s’en prendre au parisianisme dans l’art (même de la BD) ou au décernement de prix à Angoulême, mais Frank le fait en se gardant de citer explicitement les exemples auxquels il songe, ce qui donne une impression d'amalgame méprisant. Et puis n’y a-t-il pas contradiction à encenser ensuite des Vivès, Blain, De Crécy, notoirement plébiscités par "Paris" et ayant reçu les plus hautes distinctions angoumoisines ? C’est également bizarre d’ériger en règle absolue la cohérence stylistique au sein d’une planche tout en citant ailleurs et à répétition Moebius comme maître. Ce dernier, tout comme Joann Sfar, a démontré que cette sacro-sainte continuité de style pouvait être contournée dans bien des cas (cf. les Inside ou la série Le monde d’Edena).
 
C
e serait toutefois injuste de limiter le présent bouquin à ses défauts. Passé outre quelques pages de cet acabit, ce sont les enthousiasmes communicatifs qui finissent par émerger majoritairement de la plume de Frank. Ouf ! Il traite ici de ce qui lui importe dans la composition, l’anatomie et le silhouettage, le noir et blanc, la couleur, la lumière, la narration. Il n’hésite d’ailleurs pas aussi à renvoyer à d’autres essais, comme Petite philosophie de l’improvisation du trompettiste Ibrahim Maalouf.
 
L’ouvrage est abondamment illustré d’exemples, tirés de son propre travail et d’œuvres qu’il admire (de McKay, Franquin ou Will Eisner à des contemporains), ce qui donne des envies de (re)lectures.
 

Chronique par Joachim Regout

Dessine ! ... et tu connaîtras l'univers est les dieux (2024) inaugure la collection Les Cahiers de la bande dessinée (co-édité avec Glénat)