BD : Nietzsche - Se créer liberté

Auteurs : Onfray et Le Roy
Editeur : Le Lombard




Passionné par la philosophie de Nietzsche, le dessinateur Maximilien Le Roy adapte en BD un scénario de Michel Onfray initialement prévu pour le cinéma.

Onfray, philosophe connu du grand public à travers le succès de son Traité d'athéologie. L'essentiel est un peu moins connu: Onfray est un descendant spirituel de Nietzsche, auquel il emprunte sa vision de la morale et sa critique du christianisme pour revendiquer une pratique existentielle de l'hédonisme. Bref, il eût été difficile de trouver meilleur biographe de l'auteur de Par-delà le bien et le mal.

La vision que Michel Onfray donne de son sujet a le mérite de s'éloigner radicalement des clichés. Nietzsche est un homme exalté, possédé par l'idée d'une vie dionysiaque - mais aussi un dépressif chronique qui paye ses élans vitaux par de longues périodes d'isolement morbide. Bref, Nietzsche n'est pas un surhomme nietzschéen. L'image belliciste et antisémite qui lui est généralement attachée est, d'après Onfray, une récupération et un détournement de l'oeuvre du philosophe par sa soeur qui, elle, fut une proche d'Adolf Hitler.

Petite note personnelle : l'oeuvre de Nietzsche tout entière ressemble à un condensé des phases maniaques chez un maniaco-dépressif. Les phases d'exaltation surhommesques sont compensées par de terribles phases de dépression. Il est étonnant de constater le même genre de phénomène chez Robert E. Howard, le créateur de Conan le Barbare - illustration dans l'univers de l'heroic fantasy du pseudo "surhomme nietzschéen" mal compris. Howard lui aussi était, contrairement à son héros, un être hypersensible et fragile. Très proche de sa maman, il se suicida quand il apprit qu'elle était atteinte d'une maladie incurable en phase terminale.

Bref, sur le fond, Nietzsche - se créer liberté est un album extrêmement intéressant. Restent quelques critiques sur la forme. Le Roy est sans doute resté fidèle au script de cinéma d'Onfray - mais aurait gagné à le couper largement : l'album souffre de trop de longueurs et de dialogues de remplissages qui diluent l'intérêt. Ce n'est que vers la seconde moitié de ces pages que l'on accroche vraiment au personnage, cette fois pour ne plus le lâcher. En attendant, il faut résister plusieurs fois à la tentation de fermer cet album de 120 pages qui eût gagné à être réduit à 80. Avec ses dominantes sombres dans les verts, les gris et les bruns, le style graphique au réalisme hachuré de Le Roy, proche de celui d'un Emmanuel Moynot, réussit parfaitement à communiquer la mélancolie de Nietzsche. On peine par contre à y trouver la joie fulgurante et l'énergie vitale qui débordait de certaines pages du philosophe.

Au total, un bel essai, riche, personnel et documenté - mais une demi-réussite seulement.

Chronique par Geoffroy d'Ursel